PASSAGE, ENTRE LÀ ET L’AILLEURS Par Brigitte Rémer,
Sociologue, Auteure (Ouvrages : Fragments d’un discours théâtral, Cultures au faubourg…)
Entre là et l’ailleurs, il n’y a qu’un pas et quelques traversées, avec les photographies qu’Aurélia Frey a réalisées et assemblées sous le concept de Passage.
Franchissement, changement d’un état à un autre, ses champs magnétiques invitent à voir les choses autrement. Elle nous propose son autre côté du miroir, telle une méditation à haute voix dont elle nous rend témoin, dans une langue d’ombre. Ses divagations sont hors tension, on y trouve une sérénité apparente, pas de cataclysme ou alors intérieur… Sa traversée, son voyage, relèvent d’une initiation au désert, d’un horizon à perte de vue, de nostalgies, d’un monde prononcé ici qui est alors vu là-bas, d’images qui contiennent cela qu’elles ne contiennent plus, comme sait le dire Bernard Noël. […]
Passage est une série de brume, à la manière de Turner, dans un flou jouant entre intérieur et extérieur, entre étrangeté et éloignement, présence et absence. Son univers est silencieux. Le ciel pénètre la terre, l’arbre pénètre le ciel. L’icône est discrète, expressive. De révélations à représentation, l’artiste livre, comme une confidence, les labyrinthes de ses obscurités, ses vérités, construit son vrai et son faux, ouvre à une géométrie du regard, à travers ombre et lumière. Un regard témoin scrute, derrière la croisée des fenêtres, conduisant notre regard, de transparence à opacité, devant, derrière, au loin, dessous, à côté. Ce contrepoint donne naissance à une complicité, et ramène à la réalité, toutes les formes d’imagination, intérieure ou extérieure, ne sont-elles pas, comme le dit Georges Bataille, un processus de sélection et d’assemblage ? Un peu de mémoire, une vitre posée, un reflet, une ressemblance, fabriquent l’épaisseur du signe qui rejoint l’épaisseur du temps, animé, inanimé. Quel est ce visage ? C’est un trou dans l’espace, un regard dans la vitre noire, toucher le ciel, une énigme, un miroir. L’assemblage et le tremblé de ce Passage construisent un monde autre, diaphane, mettant en scène et en jeu éléments naturels ou recomposés. Aurélia Frey trace des allées, visibles et invisibles, casse le temps qui se suspend. Le semblant, l’image, le fragment, échappent alors à la citation, et nous laissent cette part d’innocence à déchiffrer, à reconstruire, poussant celui qui regarde à marcher sur soi comme fit l’ Autre sur la mer.