Itinéraires / Collectif / Éditions Loco

Itinéraires... s’est construit à partir d’une invitation lancée à une cinquantaine de photographes à proposer des images où se rencontrent la photographie et le voyage sous toutes ses formes. Chacun a exhumé un corpus de photographies pour la plupart inédites, parfois solitaires, souvent des pépites oubliées.
Le livre a été composé avec la complicité de Philippe Dollo (photographe), Joël Van Audenaege (photographe, éditeur et graphiste) et Vincent Bengold (Festival Photographes voyageurs).
Sébastien Berlendis et Fabien Ribery ont été invités à participer au voyage par leurs mots.

Dilecta, ce que l’on chérit par Fabien Ribery

DILECTA, CE QUE L’ON CHÉRIT par Fabien Ribery

« Elle était, comme vous le savez déjà, sans rien savoir encore, le lys de cette vallée où elle croissait pour le ciel, en le remplissant du parfum de ses vertus. »

Pour réaliser sa série photographique inspirée de la lecture du Lys dans la vallée d’Honoré de Balzac, roman contant l’histoire d’amour platonique entre la comtesse Blanche-Henriette de Mortsauf, femme (mal) mariée, et le renversant Félix de Vandenesse, menant jusqu’à la mort par désespoir de son héroïne après avoir découvert l’infidélité de son amant imaginaire avec Lady Dudley, Aurélia Frey s’est rendue dans des lieux merveilleux : le château d’Azay-le-Rideau, la Château de la Chevrière, le manoir de Vonnes, le Domaine de Candé, le Château de Valesne, les Musées des Beaux-Arts de Tours et d’Angers, et quelques autres endroits encore porteurs symbolisant la grandeur de la noblesse française de province.

En résidence au musée Balzac à Saché pendant l’été 2018, l’artiste a parcouru l’Indre-et-Loire, imaginant ensuite avec beaucoup de finesse, aux côtés de Marie Maurel de Maillé, l’ouvrage Dilecta(e), publié par Les Editions de l’épair (Grèzes, Lozère).

« Dans l’église de Saché, précise en postface Isabelle Lamy, directrice du musée Balzac, trône une plaque funéraire et son épitaphe en latin, hommage à la pieuse Marguerite de Rousselé (1608-1628), fille des propriétaires du château de Saché, morte en odeur de sainteté. Elle y est qualifiée de Dilecta (« bien-aimée »). Honoré de Balzac s’est probablement inspiré de cette inscription pour nommer Dilectae son premier amour, Laure de Berny (1777-1836), dans sa dédicace au roman Louis Lambert, mûri à Saché pendant l’été 1832 : Et nunc et semper dilectae dicatum (« A la chère entre toutes, pour maintenant et pour toujours »). Or, Henriette est sans nul doute le filigrane vertueux de Laure et devient donc, aux yeux d’Aurélia Frey, la nouvelle Dilecta. Marguerite, Laure et Henriette se retrouvent ainsi mises en abyme dans le récit que nous dévoile en images ce livre. »

Livre d’amour et d’hommage, Dilecta est composé d’un herbier, de paysages et de natures mortes évoquant avec une grande délicatesse l’univers balzacien.

On sait que dans Le Lys dans la vallée le langage floral permet d’exprimer de façon métaphorique le trouble et l’intensité des sentiments d’une femme décrite comme une « céleste créature ».

Les bouquets qu’offre l’amant inaccessible à la belle dame se pâmant pour lui sont ainsi des déclarations érotiques.

Imprimées en plus petit format que les pages du livre qui les reçoivent, et qu’elles ponctuent de leur présence colorée et de leur aura de rayogramme, les images de fleurs cueillies par la photographe sont des entrées dans le merveilleux existentiel de qui ne craint pas d’accorder ses chemins de solitude à la vaste sensibilité du vivant.

Photographiant des tableaux, des surfaces, des matières, Aurélia Frey pose sur le monde un regard de précaution ardente, révélant ainsi son intimité, sa folie peut-être, jusqu’à son renversement dans la grâce de toutes choses.

Dilecta(e) est une musique de silences, le frôlement d’un cil sur une épaule nue, une façon de ne surtout pas peser disant l’éthique poétique de la femme touchée par le beau.

Un lit inutile, un soleil voilé, une campagne froide, et le miracle d’une nature offrant à la flottaison des sentiments un écrin précieux les reflétant pour les relancer.

L’écriture est classique de ne pas masquer l’importance des racines, de la culture, de la transmission la plus haute.

En cela, la photographie d’Aurélia Frey est inactuelle, si rare dans une époque vile refusant aux poètes la place fondamentale qui devrait leur être échue.

De grands bouleversements se préparent.

Puissance de révolution de simples fruits dans une corbeille, d’un chemin de trembles dans la courbe d’une rivière, d’un ciel tempétueux, d’un lierre rose, de pieds et bras nus se dégageant d’une robe blanche.

Ce sublime-là, dont Balzac sait exprimer au suprême l’éclat et le secret, est à la portée de tous, et peut-être davantage encore lorsque le cœur est grand ouvert.

Permettez-moi maintenant, écoutant l’ensemble Les Arts florissants, de célébrer avec les mots du compositeur italien baroque Alessandro Grandi (1590-1630) celle que j’aime : « Veni coronaberis. Surge sponsa mea, surge dilecta mea, immaculata mea, surge, veni, qui a amore langueo. »

Viens, tu seras couronnée.

Lève-toi, ma fiancée, lève-toi ma bien-aimée, réveille-toi, viens, car je languis d’amour.

Aurélia Frey, Dilecta(e), Les Editions de l’épair, directrices de la publication Soraya Hocine et Sandy Berthomieu, texte Marc Blanchet, postface Isabelle Lamy, conception et réalisation graphique Marie Maurel de Maillé, photogravure Christophe Girard, 2021 – 500 exemplaires

Mourir, rassembler ses forces par Fabien Ribery

MOURIR, RASSEMBLER SES FORCES par Fabien Ribery / L’intervalle

Pour une exposition actuelle au Musée Balzac à Saché en Touraine, où elle a bénéficié d’une résidence de création, la photographe Aurélia Frey a choisi de suivre Henriette de Mortsauf, personnage principal du roman Le Lys dans la vallée (1836), durant ses derniers instants. Mal mariée, la vertueuse et douce héroïne, refusant l’adultère par devoir conjugal, se meurt de n’avoir pas cédé à Félix, qu’elle adore pourtant. Aurélia Frey a été touchée par cette figure du tragique féminin. Lui rendant hommage, elle imagine les dernières visions d’une femme au destin déchirant, appelant sa série Dilectae, en référence au premier amour de Balzac baptisé par lui-même Dilecta.

Dans la contemplation de la nature, des petits riens considérables empêchant de sombrer tout à fait, ainsi apparaît l’Intouchable, envers qui Aurélia Frey a ressenti plus que de l’empathie, une véritable communion d’âme. Des coquelicots, des dessus de lit, des objets très intimes, une rivière, voilà ce qui reste de la belle dame.

Une chanson triste et belle.

Les mots qui suivent sont d’Aurélia Frey, d’Honoré de Balzac, et de l’écrivain norvégien Tarjei Vesaas (1897-1970), autre grand amour de l’artiste.

L’heure du loup (2) par Fabien Ribery

L’HEURE DU LOUP (2) par Fabien Ribery L’intervalle

Discussion. autour de trois photographies.

Il y a dans la poétique photographique d’Aurélia Frey une recherche d’atemporalité et de solitude très précieuses en notre époque de bavardage continuel et de lumières aveuglantes.

Apprendre à voir dans le noir, ne pas craindre de se perdre, accueillir la présence de ce qui approche, sont des attitudes physiques, mais avant tout morales.

Aurélia Frey, dont l’oeil est profondément nourri de peinture, photographie des trésors éphémères, des fragments de paroles incarnées, des souffles.

La beauté de ses images est celle des prières que l’on fait à genoux certaines nuits d’insomnie, attendant de l’ombre des réponses que ne nous donnera pas le jour.

Le cadre est ainsi vécu comme ce qui donne forme à l’informe, une confiance, un soutien quand tout tremble.

Photographier consiste donc pour Aurélia Frey à ouvrir les portes de la perception, en se laissant surprendre par ce qui apparaît, tel l’agneau radieux de Zurbaran face à l’éclair du couteau au moment du sacrifice.

Grand merci à Aurélia Frey d’avoir accepté de commenter pour L’Intervalle trois images de son travail en cours.

L’heure du loup (1) par Fabien Ribery

L’HEURE DU LOUP (1) par Fabien Ribery l’Intervalle

Il y a dans la poétique photographique d’Aurélia Frey une recherche d’atemporalité et de solitude très précieuses en notre époque de bavardage continuel et de lumières aveuglantes. Apprendre à voir dans le noir, ne pas craindre de se perdre, accueillir la présence de ce qui approche, sont des attitudes physiques, mais avant tout morales. Aurélia Frey, dont l’oeil est profondément nourri de peinture, photographie des trésors éphémères, des fragments de paroles incarnées, des souffles. La beauté de ses images est celle des prières que l’on fait à genoux certaines nuits d’insomnie, attendant de l’ombre des réponses que ne nous donnera pas le jour. Le cadre est ainsi vécu comme ce qui donne forme à l’informe, une confiance, un soutien quand tout tremble. Photographier consiste donc pour Aurélia Frey à ouvrir les portes de la perception, en se laissant surprendre par ce qui apparaît, tel l’agneau radieux de Zurbaran face à l’éclair du couteau au moment du sacrifice.

Lire la suite : Entretien avec Fabien Ribery

Même les oiseaux chantent pendant le chaos

Même les oiseaux chantent pendant le chaos est un ouvrage collectif qui accueille une respiration poétique commune de 50 artistes et auteurs.

Ces pages deviennent un écho de traces et de paroles des démarches multiples (photographie, dessin, peinture, sculpture, poésie, philosophie). Quand les murs nous contraignent, c’est l’expression libre et la liberté volatile qui déborde pour un besoin de respirer plus encore…
Alors qu’être ensemble se réalise à distance, ce temps trouble, parfois étouffant ou de malaise, nous sommes tous contraints de repenser notre relation à soi, aux autres, au quotidien, à l’environnement, à l’extérieur.

Inspirer, sentir l’air dans son corps, souffler …

Une parenthèse pour se renouveler, rebondir, s’adapter, créer ou simplement écouter le silence, être, respirer !
Alors que l’humanité s’essouffle, la nature en perpétuel mouvement poursuit son cycle à l’infini. Même les oiseaux chantent…

Les éditions de l’épair

à propos de Même les oiseaux chantent pendant le chaos, lire l’article de Fabien Ribery sur l’intervalle :

Appels d’air, cinquante artistes, par Les Editions de l’Epair