Au cours d’une résidence de deux mois au musée Balzac, Aurélia Frey a imaginé les derniers instants de l’héroïne du Lys dans la vallée, Blanche-Henriette de Mortsauf. Cette femme vertueuse à la psychologie complexe est inspirée de Laure de Berny, le premier amour d’Honoré de Balzac qu’il a baptisée Dilecta, sa « bien-aimée », en référence à la pieuse Marguerite de Rousselé inhumée en l’église de Saché au XVIIe siècle. Elle fait également écho à d’autres personnages féminins de La Comédie humaine telles Lady Brandon (La Grenadière) ou Stéphanie de Vandières (Adieu). Explorant la vallée de l’Indre et ses châteaux, Aurélia Frey parcourt l’âme d’Henriette pour saisir les dernières visions de l’héroïne alors qu’elle se meurt.

 

« À quoi me sert d’avoir été Dilecta? » Madame de Mortsauf, Henriette, Blanche se meurt. Aux derniers instants de sa vie, elle se souvient, ses pensées se tournent vers Félix de Vandenesse. De sa vie de recluse, elle qui a toujours refoulé ses désirs et ses pensées les plus secrètes, elle se meurt.

Non d’amour mais de ne pas s’être trouvée. On ne peut être blanche et appartenir à ce monde charnel. Elle sera alors Henriette pour celui qu’elle aime. « Mais de quel moi parlez-vous ? Je sens bien des moi en moi. » Elle meurt, d’avoir été Dilecta(e), la pure et l’intouchable. Blanche Henriette ou Henriette Blanche ? Se chercher sans ne se trouver jamais, frôler la folie. Un cri : « Oui, Vivre! Vivre de réalités et non de mensonges ». Madame de Mortsauf est une de ces femmes balzaciennes qui entrouvre les portes de l’invisible, là où tout semble l’amener vers un ailleurs, là où la contemplation des « petites choses » de la vie est un trésor précieux. Aveugle et présente au monde, étrange oxymore, elle est, en effet, duelle, éprise d’idéal, de perfection, mais rêvant d’aimer et d’être aimée, toujours rattrapée, cependant, par le temps, la société, la religion. Personnage féminin dont l’univers intime est le seul palliatif à la souffrance et aux tumultes du monde : le paysage et la nature, comme expression des sentiments. Que reste-t-il de sa mémoire ? Peut-être tout est là, dans ses jardins secrets que j’ai cherché à recueillir. Découvrir un dessin, une peinture, un journal, une tenture froissée, autant de signes : vivre à travers eux, toucher à l’insaisissable, ne serait-ce qu’un instant, fugace, voué à disparaître. Henriette-Blanche : bouquets fanés de ses amours avec Félix, paysages serrés dans la brume comme un douloureux souvenir. Tout y est contenu, délicat et pourtant oppressant. Hésitation entre les visions de Blanche mourante et les souvenirs qui témoignent de sa vie. Quels sont ces visages qui se confondent aux abords de la mort ? Elle seule le sait. En fermant les yeux, Blanche-Henriette aurait pu murmurer : « Les arbres imparfaitement couverts de neige, se détachaient faiblement du fond grisâtre que formait un ciel nuageux, à peine blanchi par la lune. Vus au sein de cette atmosphère fantastique, ils ressemblaient vaguement à des spectres mal enveloppés de leurs linceuls, image gigantesque de la fameuse danse des morts. »* Dilecta(e), la Bien-aimée, ce qui survit de ses désirs et de ses rêves, ses dernières images avant de fermer les yeux. Car il n’y a que la trace…

2018

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Mourir, rassembler ses forces par Fabien Ribery dans L’Intervalle