Durant quatre mois, je suis partie en Amérique latine en compagnie d’un journaliste et d’un réalisateur. Notre chemin suivait les tra­ces des messagers incas disparus depuis des siècles, dans un parcours traversant la cordillère des Andes et reliant l’Equateur, le Pérou et la Bo­livie.

Nous arrêtant au hasard des rencontres, au gré de la route, nous avons eu l’occasion de décou­vrir des endroits insolites et isolés. J’ai alors pho­tographié des villages reculés, des paysages où l’Homme semble englouti par les parois rocheu­ses de monts presque vivants.

De ces espaces traversés, tous différents, j’ai ramené des images éparses, fragments cap­turés par l’appareil photographique. Ces photo­graphies à priori très diverses, tous ces moments volés à la fuite du temps, nous parlent pourtant d’un même monde, un monde en suspens où les espaces vides se superposent à l’infini. Dans chaque lieu, dans chaque objet, j’ai en effet re­trouvé le même poids des choses : celui du si­lence. Le brouillard noie souvent le sommet des montagnes de sa brume laiteuse, se dépose en particules sur les chemins humides qu’il paraît avaler, étouffant tous les sons. Les villages du Pérou et d’Equateur, perchés à très haute altitude, semblent parfois déserts, les rues sont vides, des fils électriques se balancent dans le vent et les toits de tôles résonnent sous la pluie. Je me suis fréquemment heurtée à des portes closes avant de pouvoir pénétrer dans l’espace intérieur. Et là, j’ai trouvé un lit vide, un vêtement suspendu à un clou, un tableau solitaire accroché sur un mur représentant la Vierge, au bataillon de ces icônes pieuses qui meublent la solitude andine et que l’on retrouve partout… Dans les visages même, j’ai vu se refléter la sen­sation d’absence donnée par les lieux, une no­tion que j’ai toujours aimée travailler dans mes portraits qui sont pour moi autant de paysages intérieurs. La peau de ces villageois est marquée par la nature, par le vent et la montagne. Péné­trer dans une chambre, c’est entrer dans l’espace intime de celui qui y vit et les corps de ces hom­mes et ces femmes semblent être avalés par leur maison, figés dans la pierre de la montagne. Leur isolement dans ces chambres rattrapées par la nuit rejoint la solitude de la route où le trajet se perd dans le brouillard. Tout nous parle d’espace, tout nous parle de temps. Sensations fugitives d’éternité dissimulées dans un paysage… Ces images livrent mon regard sur cette errance andine aujourd’hui. Qu’ai-je cherché au juste ? La mémoire, le passé, le présent, l’Histoire ou l’avenir ? Peut-être un peu de tout cela.