APNÉE Texte Emmelene Landon

APNÉE.  Écrit de Emmelene Landon pour le livre Apnée

Extraits.

Aurélia et moi nous baladons sur l’île de Ratonneau, en pleine lumière, à chaque pas des papillons jaunes surgissent des buissons. La blondeur d’Aurélia reflète le soleil. Nous ne nous sommes pas vues depuis un an, peut-être deux. Nous nous retrouvons sur cette île, dans l’empreinte laissée par ses photos, comme quand on ferme les yeux après avoir regardé le soleil. Une tache. Comment mémoriser une tache ? Comment décrire un éblouissement ? Comment garder l’empreinte d’un éblouissement ?
(On arrête de respirer.)
Nous marchons au soleil, dans une mémoire obscure de ses photos. Rien de tel que le noir pour mettre en valeur l’éblouissement. On regarde les photos d’Aurélia, happé, attiré par la lumière. C’est le noir qui reste. Le noir au réveil, quand on essaie de se rappeler d’un rêve. Un souvenir flou d’une importance partie en fumée, ne laissant que la nécessité. L’ombre d’une richesse inouïe d’un vide. Le réveil nous ramène au monde.
(Sans rien retenir.)
Aurélia crée des images au bord de l’évanouissement avec le regard d’un animal. Si Yasujirô Ozu filme à hauteur d’enfant, Aurélia photographie à hauteur d’animal. L’œil anticipe le monde en courant entre deux états. Trajectoires entre les buissons, dans la forêt, d’un point d’eau à un nid mousseux. Elle se dérobe comme un animal, elle se retient, entre le visible et le caché.
(Trouver un coin pour dormir.)

Ce qu’elle révèle dépasse le sujet, déjà tombé dans l’oubli. On s’y accroche en vain. Le passé est devenu poussière et nous passons devant, renvoyés à la disparition de ce que nous avons de plus précieux. Nous passons devant la vision en strates de tous nos états, surtout les plus archaïques. Le tunnel est là. Tomber ou voler.
(Voler.)
Aurélia vole, mais elle a une peur bleue de l’avion. Pourquoi ? L’avion nous déplace. L’avion nous offre cette vue magnifique au dessus de la terre. Mais Aurélia déteste prendre l’avion, qui enferme les passagers comme des sardines en boîte. Pour prendre l’avion, il faut qu’elle sorte de la réalité. Elle pourrait en revanche voler comme la jeune femme devient moineau dans Bird People de Pascale Ferran, entre discrétion et la sensation d’être oiseau dans les airs, en criant sa joie. Par désir de voir et de glisser sur les courants. L’avion, c’est elle, Aurélia, qui appréhende le passage physique d’images qui permettent de basculer.
(Basculer.)
Basculer dans la brume de l’enfance. Fugue. Ne rien oser toucher. Arrêt du temps. Peur. Guetter les pas de l’ogre, de l’intrus quand on est soi-même intrus, dans une vie, une autre vie, sa propre vie. Surface rugueuse poussiéreuse souvenir d’un repas impossible au cimetière aire de jeux.
Y rentrer malgré l’interdit, trouver des traces de la présence d’une vie qui n’est plus, regarder les photos qui jonchent le sol, regarder les objets, les toucher, l’envie de les prendre mais les laisser, les photographier pour les extraire de l’oubli, de mon oubli, se demander si la photographie pourra les sauver puis se rendre compte que même l’image n’arrive pas à capter cette sensation, juste la trace banale, les îles, nécessité d’un endroit perdu, le son intraduisible, étouffé mais fort, omniprésent.
(Retour à la case départ.)
Les arbres permettent d’apprécier le réel. Le rapport aux arbres, contrairement aux natures-mortes, agit comme l’appel de ce qui est vivant autour de soi, tout autour, dans la forêt. Chaque morceau de peau a des antennes, on guette le danger, la peau caressée par l’air et les feuilles, chaque feuille sa note.

APNEE TEXTE EMMELENE LANDON

Les objets intimes d’une passion balzacienne contrariée par Christian Gattinoni

LES OBJETS INTIMES D’UNE PASSION BALZACIENNE CONTRARIÉE par Christian Gattinoni / La critique.org

Aurélia Frey lutte contre l’évanouissement des formes . Deux arts sont mitoyens de sa pratique, la peinture et les éléments mobiliers croisés dans sa résidence à Saché et comme à son accoutumé la littérature, celle de Balzac. Une autre discipline, les sciences naturelles fournit une nécessité fictionnelle à un herbier. L’ensemble trace le portrait en creux de Madame de Mortsauf du « Lys dans la vallée », prototype de toutes les bien-aimées , de toutes les « Dilecta(e) » titre du livre.

Les éditions de l’épair qui le publient sont dirigées par Sandy Berthomieu et Soraya Hocine, elles éditent avec un grand soin des livres singuliers de jeunes créatrices. J’ai connu l’exigence et l’engagement artistique d’Aurélia Frey à l’ENSP d’Arles dont elle est diplômée . Née en 1977, elle vit et travaille actuellement à La Rochelle au sein du collectif Essence carbone.
 Son goût pour la littérature oriente ses différentes séries grâce à des résidences sur des hauts lieux de la création romanesque ou poétique. Ce dernier ouvrage « Dilecta(e) » témoigne de cette sensibilité dans une transmission d’un univers de création écrite à celui de l’image photographique.

A l’intérieur du livre des images libres montrent des fleurs de différentes natures. Paradoxe, alors que la pratique de l’herbier consiste à fixer les plantes collectées et rassemblées, les éditrices et l’auteure ont choisi de reproduire en couleurs le résultat de la cueillette scannée sur des rectangles de papier, dont seuls certains sont fixés dans la reliure. Beaucoup de livres des éditions de l’épair font ainsi l’objet d’une fabrication artisanale liée à la logique fictionnelle du livre d’artiste. Ici ces fleurs sauvages disséminées dans le livre ont mission d’exprimer symboliquement des sentiments qui ne peuvent s’avouer au grand jour. De plus elles viennent masquer partiellement les autres photographies, rejouant ainsi pour nous la découverte sensuelle d’un tissu, d’un objet intime ou d’un fragment de tableau, portraits natures mortes ou paysages.

Les fragments de tableaux manifestent aussi les seules présences corporelles revendiquées, même si tout le livre exacerbe des représentations sensuelles du tactile. Les cadrages sont serrés au plus près des choses , l’atmosphère se joue des ombres et des lumières tamisées, en préface Marc Blanchet écrit : « Ce qu’elle photographie est une forme absolue d’appartenance au monde. » Des vues de nature en noir et blanc renforcent cette atmosphère feutrée, proche de l’enfermement, au moins psychologique, subi par l’héroïne balzacienne dans sa solitude sentimentale . Aurélia Frey l’affirme clairement : « mes images cherchent à rendre poreuses les frontières qui séparent les univers de la représentation. Elles favorisent le dialogue entre le monde visible et le monde intérieur, entre le réel et l’imaginaire, entre le concret et l’abstraction. » Une réussite visuelle et sensuelle d’une très haute sensibilité.

 

 

Dilecta, ce que l’on chérit par Fabien Ribery

DILECTA, CE QUE L’ON CHÉRIT par Fabien Ribery

« Elle était, comme vous le savez déjà, sans rien savoir encore, le lys de cette vallée où elle croissait pour le ciel, en le remplissant du parfum de ses vertus. »

Pour réaliser sa série photographique inspirée de la lecture du Lys dans la vallée d’Honoré de Balzac, roman contant l’histoire d’amour platonique entre la comtesse Blanche-Henriette de Mortsauf, femme (mal) mariée, et le renversant Félix de Vandenesse, menant jusqu’à la mort par désespoir de son héroïne après avoir découvert l’infidélité de son amant imaginaire avec Lady Dudley, Aurélia Frey s’est rendue dans des lieux merveilleux : le château d’Azay-le-Rideau, la Château de la Chevrière, le manoir de Vonnes, le Domaine de Candé, le Château de Valesne, les Musées des Beaux-Arts de Tours et d’Angers, et quelques autres endroits encore porteurs symbolisant la grandeur de la noblesse française de province.

En résidence au musée Balzac à Saché pendant l’été 2018, l’artiste a parcouru l’Indre-et-Loire, imaginant ensuite avec beaucoup de finesse, aux côtés de Marie Maurel de Maillé, l’ouvrage Dilecta(e), publié par Les Editions de l’épair (Grèzes, Lozère).

« Dans l’église de Saché, précise en postface Isabelle Lamy, directrice du musée Balzac, trône une plaque funéraire et son épitaphe en latin, hommage à la pieuse Marguerite de Rousselé (1608-1628), fille des propriétaires du château de Saché, morte en odeur de sainteté. Elle y est qualifiée de Dilecta (« bien-aimée »). Honoré de Balzac s’est probablement inspiré de cette inscription pour nommer Dilectae son premier amour, Laure de Berny (1777-1836), dans sa dédicace au roman Louis Lambert, mûri à Saché pendant l’été 1832 : Et nunc et semper dilectae dicatum (« A la chère entre toutes, pour maintenant et pour toujours »). Or, Henriette est sans nul doute le filigrane vertueux de Laure et devient donc, aux yeux d’Aurélia Frey, la nouvelle Dilecta. Marguerite, Laure et Henriette se retrouvent ainsi mises en abyme dans le récit que nous dévoile en images ce livre. »

Livre d’amour et d’hommage, Dilecta est composé d’un herbier, de paysages et de natures mortes évoquant avec une grande délicatesse l’univers balzacien.

On sait que dans Le Lys dans la vallée le langage floral permet d’exprimer de façon métaphorique le trouble et l’intensité des sentiments d’une femme décrite comme une « céleste créature ».

Les bouquets qu’offre l’amant inaccessible à la belle dame se pâmant pour lui sont ainsi des déclarations érotiques.

Imprimées en plus petit format que les pages du livre qui les reçoivent, et qu’elles ponctuent de leur présence colorée et de leur aura de rayogramme, les images de fleurs cueillies par la photographe sont des entrées dans le merveilleux existentiel de qui ne craint pas d’accorder ses chemins de solitude à la vaste sensibilité du vivant.

Photographiant des tableaux, des surfaces, des matières, Aurélia Frey pose sur le monde un regard de précaution ardente, révélant ainsi son intimité, sa folie peut-être, jusqu’à son renversement dans la grâce de toutes choses.

Dilecta(e) est une musique de silences, le frôlement d’un cil sur une épaule nue, une façon de ne surtout pas peser disant l’éthique poétique de la femme touchée par le beau.

Un lit inutile, un soleil voilé, une campagne froide, et le miracle d’une nature offrant à la flottaison des sentiments un écrin précieux les reflétant pour les relancer.

L’écriture est classique de ne pas masquer l’importance des racines, de la culture, de la transmission la plus haute.

En cela, la photographie d’Aurélia Frey est inactuelle, si rare dans une époque vile refusant aux poètes la place fondamentale qui devrait leur être échue.

De grands bouleversements se préparent.

Puissance de révolution de simples fruits dans une corbeille, d’un chemin de trembles dans la courbe d’une rivière, d’un ciel tempétueux, d’un lierre rose, de pieds et bras nus se dégageant d’une robe blanche.

Ce sublime-là, dont Balzac sait exprimer au suprême l’éclat et le secret, est à la portée de tous, et peut-être davantage encore lorsque le cœur est grand ouvert.

Permettez-moi maintenant, écoutant l’ensemble Les Arts florissants, de célébrer avec les mots du compositeur italien baroque Alessandro Grandi (1590-1630) celle que j’aime : « Veni coronaberis. Surge sponsa mea, surge dilecta mea, immaculata mea, surge, veni, qui a amore langueo. »

Viens, tu seras couronnée.

Lève-toi, ma fiancée, lève-toi ma bien-aimée, réveille-toi, viens, car je languis d’amour.

Aurélia Frey, Dilecta(e), Les Editions de l’épair, directrices de la publication Soraya Hocine et Sandy Berthomieu, texte Marc Blanchet, postface Isabelle Lamy, conception et réalisation graphique Marie Maurel de Maillé, photogravure Christophe Girard, 2021 – 500 exemplaires

Mourir, rassembler ses forces par Fabien Ribery

MOURIR, RASSEMBLER SES FORCES par Fabien Ribery / L’intervalle

Pour une exposition actuelle au Musée Balzac à Saché en Touraine, où elle a bénéficié d’une résidence de création, la photographe Aurélia Frey a choisi de suivre Henriette de Mortsauf, personnage principal du roman Le Lys dans la vallée (1836), durant ses derniers instants. Mal mariée, la vertueuse et douce héroïne, refusant l’adultère par devoir conjugal, se meurt de n’avoir pas cédé à Félix, qu’elle adore pourtant. Aurélia Frey a été touchée par cette figure du tragique féminin. Lui rendant hommage, elle imagine les dernières visions d’une femme au destin déchirant, appelant sa série Dilectae, en référence au premier amour de Balzac baptisé par lui-même Dilecta.

Dans la contemplation de la nature, des petits riens considérables empêchant de sombrer tout à fait, ainsi apparaît l’Intouchable, envers qui Aurélia Frey a ressenti plus que de l’empathie, une véritable communion d’âme. Des coquelicots, des dessus de lit, des objets très intimes, une rivière, voilà ce qui reste de la belle dame.

Une chanson triste et belle.

Les mots qui suivent sont d’Aurélia Frey, d’Honoré de Balzac, et de l’écrivain norvégien Tarjei Vesaas (1897-1970), autre grand amour de l’artiste.

L’heure du loup (2) par Fabien Ribery

L’HEURE DU LOUP (2) par Fabien Ribery L’intervalle

Discussion. autour de trois photographies.

Il y a dans la poétique photographique d’Aurélia Frey une recherche d’atemporalité et de solitude très précieuses en notre époque de bavardage continuel et de lumières aveuglantes.

Apprendre à voir dans le noir, ne pas craindre de se perdre, accueillir la présence de ce qui approche, sont des attitudes physiques, mais avant tout morales.

Aurélia Frey, dont l’oeil est profondément nourri de peinture, photographie des trésors éphémères, des fragments de paroles incarnées, des souffles.

La beauté de ses images est celle des prières que l’on fait à genoux certaines nuits d’insomnie, attendant de l’ombre des réponses que ne nous donnera pas le jour.

Le cadre est ainsi vécu comme ce qui donne forme à l’informe, une confiance, un soutien quand tout tremble.

Photographier consiste donc pour Aurélia Frey à ouvrir les portes de la perception, en se laissant surprendre par ce qui apparaît, tel l’agneau radieux de Zurbaran face à l’éclair du couteau au moment du sacrifice.

Grand merci à Aurélia Frey d’avoir accepté de commenter pour L’Intervalle trois images de son travail en cours.

L’heure du loup (1) par Fabien Ribery

L’HEURE DU LOUP (1) par Fabien Ribery l’Intervalle

Il y a dans la poétique photographique d’Aurélia Frey une recherche d’atemporalité et de solitude très précieuses en notre époque de bavardage continuel et de lumières aveuglantes. Apprendre à voir dans le noir, ne pas craindre de se perdre, accueillir la présence de ce qui approche, sont des attitudes physiques, mais avant tout morales. Aurélia Frey, dont l’oeil est profondément nourri de peinture, photographie des trésors éphémères, des fragments de paroles incarnées, des souffles. La beauté de ses images est celle des prières que l’on fait à genoux certaines nuits d’insomnie, attendant de l’ombre des réponses que ne nous donnera pas le jour. Le cadre est ainsi vécu comme ce qui donne forme à l’informe, une confiance, un soutien quand tout tremble. Photographier consiste donc pour Aurélia Frey à ouvrir les portes de la perception, en se laissant surprendre par ce qui apparaît, tel l’agneau radieux de Zurbaran face à l’éclair du couteau au moment du sacrifice.

Lire la suite : Entretien avec Fabien Ribery

Mémoires maritimes / le Quotidien de l’art par Jordane de Faÿ

MÉMOIRES MARITIMES par Jordane de Faÿ

Brume, lac gelés, arbres dénudés, paysages d’aube, portraits aux visages cachés… Tout dans cette série appelle à la mélancolie, à l’évocation
de souvenirs enfouis, refaisant surface de façon intangible. Si bien que
la surface du papier photographique semble encore en développement, ou à l’inverse, si vieille que déjà gondolée et craquelée. Les photographies prennent des allures de peintures,
et les personnages fantomatiques celles de sculptures.
Inspirations nordiques
Le Sortilège des marins s’inscrit ainsi dans la continuité du travail artistique entamé par Aurélia Frey qui, depuis son diplôme à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, cherche à faire des liens entre photographie, peinture et littérature. Pour cette série, la photographe a puisé son inspiration dans
les œuvres des poètes et romanciers Edgar Poe, Olav H. Hauge et Tarjei Vesaas. Ces écrivains ont en commun une sensibilité pour la mysticité
de la nature et leur terre d’origine, le nord de l’Europe. « Au cœur de cette série se trouvent les écrivains nordiques et les paysages des villes hanséatiques. J’ai débuté ce travail en 2016 avec une première résidence en Norvège. Depuis, j’ai été résidente en Finlande et en Suède et la prochaine étape est l’Islande », explique l’artiste. Constituée pour le moment de 42 photographies, l’œuvre trouve un ancrage naturel au sein d’une ancienne ville portuaire. Tout comme Aurélia Frey, qui s’y est installée peu de temps avant le confinement, l’an passé. L’invitation à participer au festival représente un moyen privilégié d’entrer en contact avec le public local. « C’est la seconde fois que j’ai l’occasion de montrer mon travail à La Rochelle. Je me réjouis des rencontres et liens noués à Arts Atlantic », conclut l’artiste.

QDA-aurelia frey

Don’t even wait, just remain silent and alone by Moïna Fauchier Delavigne

DON’T EVEN WAIT, JUST REMAIN SILENT AND ALONE By Moïna Fauchier Delavigne relishes the silence captured by photographer Aurélia Frey

« Don’t even wait, just remain silent and alone. The world will offer itself to you. »

Photographer Aurélia Frey embraces Franz Kafka’s silence in her own pictures, whether peaceful, as in the two series « Absence » and « Interior Landscapes », or more disturbing, as in « Through the Dark Forest ».

She plays with perception and is intrigued with the idea of travelling to another world and by the subtle boundaries separating reality and the unknown. For over three years, working in Alexandria, she has based her photographs on window displays, beginning with a documentary approach, using plastic mannequins as a vehicle to explore how women are represented in Egyptian society, and then progressing towards more abstract imagery.

She is not the first artist to take window displays as a starting point, though few have imbued the subject with such a floating otherworldliness. The figures appearing in the pictures exhibited at the Mashrabia gallery are seldom static; rather, whether dressed, veiled, bewigged or bald, with make-up or without, they move through mysterious spaces.

« I always wonder where they are looking, » says Frey, who admits to being puzzled by their enigmatic gaze. « I was interested in capturing still time, » she elaborates, « which is why I wanted to avoid any information, such as price tags, that locate the figures in everyday life. »

In « Absence » Frey confounds the expectations of the spectator who sets out to read the images logically. The atmosphere is clearly intended to invoke a sense of wonder as she blurs different fields, playing with the reflections in the glass. But if the result is disorientation, it remains gentle. Lines are smooth and the rendering of colour plastic, the placidity emphasised by the use of matt paper.

So are the mannequins looking at the same thing, the thing we, the spectators, cannot see? What if we were able to look through their eyes? Frey poses these, and other questions, that take us to the edge of a fantasy world.

Frey also takes pictures of real people. « Interior Landscapes » — works produced in France and also showing at the Mashrabia gallery — focus on the ordinary, on people physically present though absent in mind. Next to each portrait is a landscape from the mountainous region of Lozere in central France, close to Grizac, the village where Frey and her family live.

The landscapes are all taken just before sunrise or just after sunset, at that in-between time when life appears to be waking up or calming down. The atmosphere of these fog-drenched micro-climates is rendered in subdued colour. The emptiness she photographs does not give rise to anxiety. Her intention is not to provoke melancholy. According to Frey these are places of meditation, not of anguish.

The portraits all adopt the same technique. « I wait until the people get exhausted and then capture that moment, when they turn inwards, become introspective. » The images contain no clues as to place or time. Some of the portraits are taken in public places — in theatres or else neutral domestic interiors. There are no attempts to hint at personality. The models are anonymous, without histories.

A very different atmosphere is expounded in the 20 splendid pinhole photographs showing at the French Cultural Centre. The pictures were made using a stenopé, a simple box with a tiny hole rather than a lens. Through this basic method Aurelia Frey revisualises a number of Renaissance paintings. « I wanted to play with works by Renaissance masters, including Titian, Leonardo da Vinci, Carpaccio, Michelangelo, Fra Angelico and Signorelli, » she explains. « I wanted to dive into their works and present them in my own way. » The title, Through the Dark Forest, refers to the descent into hell in Dante’s Divine Comedy.

She captures characters and details from the paintings and gives them a new life. Many images are taken from the ceiling of the Sistine Chapel, others from works by the 17th century painter Monsu Desiderio, with whom she feels a particular affinity. But why the Renaissance and the period immediately after? It is, says Frey, a period that has always interested her, not least because it contains so many echoes of earlier mediaeval concepts of hell.

Through the Dark Forest is not the first time Frey has experimented with the simple pinhole camera. Last year she ran a children’s workshop in Alexandria during which the participants were encouraged to explore the city with these simple cameras, concentrating on the theme of water. The results, « Stroll near the Water », were exhibited at the Bibliotheca Alexandrina.

The current exhibition is remarkably powerful, at times harrowingly so. A horse, that in the original painting few would notice, appears to be returning from hell; a face from a Titian is picked out from the surrounding gloom and highlighted in such a way as to lend it impressive strength.

The process the artist uses allows for images to be distorted as she creates a weird sense of volume, using lighting to accentuate the distortions inherent in the process. « Pinhole photography always leaves a margin of uncertainty, » says Frey, who clearly relishes the element of the unpredictable. Frey also sees silence in the stenopés, though it is a fierce silence, the muffling of a scream.

http://weekly.ahram.org.eg/2005/765/cu4.htm

Through the dark forest by Lupe Nunez-Fernandez

THROUGH THE DARK FOREST By Lupe Nunez-Fernandez Critique d’art pour la galerie Saatchi, Londres

Au milieu du chemin de notre vie je me retrouvais par une forêt obscure car la voie droite était perdue. Ah dire ce qu’elle était chose dure cette forêt féroce et âpre et forte qui ranime la peur dans la pensée. La Divine Comédie Dante Ainsi commence le long voyage de Dante, sa douloureuse initiation au travers des Enfers. Ici, c’est aussi d’un voyage qu’il s’agit, voyage dans la peinture des grands maîtres : Titien, Michel-Ange, Caravage… Au coeur de ce parcours se dévoile une exploration de la matière photographique et picturale. Cette découverte passe par un support que je privilégie, le sténopé. Derrière un miroir déformant, apparaissent ainsi au milieu des ténèbres des figures fantasmagoriques, bestiaire fantastique, visages distendus par un invisible supplice : parade macabre figée dans le silence.

The nuanced relationship between theatri­cality and space is explored in Aurelia Frey black and white photographs of faces and abstracted natural settings. In a series entitled ‘Through the dark fo­rest’, the young French photographer presents a cast of characters straight of a crystal ball – though contemplated by the viewer, they themselves seem to be haunted by the act of looking, caught in a world of abstract darkness that is half film-noir drama, half nightmarish reverie. But there’s a calmness that runs through these personages’ expressions – as if they had rehearsed it all in front of a reflecting window, or as if they were preparing their own film-still takes, as if they were acting out a plot they cannot change, looking slightly askance through a mirror that sim­ply, immediately changes what’s normal into a play. If there could ever be frank portraiture of fairies, this is what it might look like, partial, vivid, slightly paranoid of being found out. The perfect foil to these masks are the forests whose misty, placid and slightly amorphous nature Frey candidly captures, as richly as if she lived in them. Or, if you will forgive my own personal projections, could they the metaphoric settings for the theatre of torn expressions we saw above?

 

Entre là et l’ailleurs par Brigitte Rémer

PASSAGE, ENTRE LÀ ET L’AILLEURS Par Brigitte Rémer,
Sociologue, Auteure (Ouvrages : Fragments d’un discours théâtral, Cultures au faubourg…)

Entre là et l’ailleurs, il n’y a qu’un pas et quelques traversées, avec les photographies qu’Aurélia Frey a réalisées et assemblées sous le concept de Passage.
Franchissement, changement d’un état à un autre, ses champs magnétiques invitent à voir les choses autrement. Elle nous propose son autre côté du miroir, telle une méditation à haute voix dont elle nous rend témoin, dans une lan­gue d’ombre. Ses divagations sont hors tension, on y trouve une sérénité apparente, pas de ca­taclysme ou alors intérieur… Sa traversée, son voyage, relèvent d’une initiation au désert, d’un horizon à perte de vue, de nostalgies, d’un mon­de prononcé ici qui est alors vu là-bas, d’images qui contiennent cela qu’elles ne contiennent plus, comme sait le dire Bernard Noël. […]
Passage est une série de brume, à la manière de Turner, dans un flou jouant entre intérieur et ex­térieur, entre étrangeté et éloignement, présence et absence. Son univers est silencieux. Le ciel pénètre la terre, l’arbre pénètre le ciel. L’icône est discrète, expressive. De révélations à représentation, l’artiste livre, comme une confidence, les labyrinthes de ses obscurités, ses vérités, construit son vrai et son faux, ouvre à une géométrie du regard, à travers ombre et lumière. Un regard témoin scrute, derrière la croi­sée des fenêtres, conduisant notre regard, de transparence à opacité, devant, derrière, au loin, dessous, à côté. Ce contrepoint donne naissance à une complicité, et ramène à la réalité, toutes les formes d’imagination, intérieure ou extérieure, ne sont-elles pas, comme le dit Georges Bataille, un processus de sélection et d’assemblage ? Un peu de mémoire, une vitre posée, un reflet, une ressemblance, fabriquent l’épaisseur du si­gne qui rejoint l’épaisseur du temps, animé, ina­nimé. Quel est ce visage ? C’est un trou dans l’espace, un regard dans la vitre noire, toucher le ciel, une énigme, un miroir. L’assemblage et le tremblé de ce Passage construisent un monde autre, diaphane, mettant en scène et en jeu éléments naturels ou recom­posés. Aurélia Frey trace des allées, visibles et invisibles, casse le temps qui se suspend. Le semblant, l’image, le fragment, échappent alors à la citation, et nous laissent cette part d’inno­cence à déchiffrer, à reconstruire, poussant celui qui regarde à marcher sur soi comme fit l’ Autre sur la mer.

brigitte remer

 

La chambre des peintures par Emmanuel Lurin

Préface du catalogue de la Casa de Velazquez à Madrid. Résidence à Madrid de 2008 à 2010.

LA CHAMBRE DES PEINTURES Par Emmanuel Lurin , maître de conférence en Histoire de l’Art moderne / Sorbonne Université.

La pièce est sombre et les persiennes sont fermées. Du dehors filtre un jour blanc et brûlant que je ne laisserai pas rentrer. Dans ma chambre noire, je me suis retirée seule. J’ai renoncé au monde, j’ai retrouvé le silence. Plus personne, plus d’objet, plus rien. Qu’une clarté pâle qui glisse sur les murs, révélant sur son passage des taches dans le papier, des fissures, comme de croûtes de peinture. Cette nuit, pourtant, j’ai cru voir autre chose dans son reflet d’argent : un sourire, un oiseau, un visage mangé d’ombre dont l’œil unique était posé sur moi. Qui sont ces êtres que j’ignore et qui tapissent les murs de ma chambre ? Depuis combien de temps sont-ils là, cachés dans l’ombre, à me regarder ?

Avec beaucoup de retenue et dans le plus grand dépouillement, Aurélia Frey nous propose ici comme un autoportrait photographique. Un portrait sombre et austère, traversé de clartés, qui ressemble à un rêve et résonne aussi comme une leçon de ténèbres. Les photographies qu’elle a choisies, ou plutôt qu’elle n’a pas retirées, sont empruntées à trois séries récentes : Par la forêt obscure (2005), Passage (2005-2006) et Nevermore (2009). Trois séries en clair-obscur, dont les titres parlent pour elle et qui reflètent, mieux que toutes autres, ses visions intérieures. Tout est là, en quelques traits esquissé : la magie des images produites au sténopé ; la peinture ancienne qu’elle lit depuis son enfance ; ses choix de photographe, décalés, assumés ; ses rêves et ses fantômes, bien sûr, visages troubles qui dorment dans sa mémoire et n’attendent qu’une lueur pour la visiter. Et puis le silence. La lumière qui le dispute aux ténèbres. L’attente d’un dévoilement.
Depuis plusieurs années, Aurélia Frey consacre une partie de son travail à photographier la peinture ancienne. En vérité, c’est elle qui se laisse regarder, raconter par la peinture. Les vieux tableaux, elle les aime d’abord pour eux-mêmes, dans leur matérialité : elle les chérit et elle leur rend visite comme à des parents très âgés. En se plaçant sur le côté, tout près des oeuvres, elle les contemple dans leur grand âge, elle s’attendrit de leurs faiblesses, elle éclaire d’un regard leurs vieux visages fatigués. Depuis longtemps, les histoires des anciens la fascinent, de même que toutes ces vies peintes que d’autres, avant elle, ont su fixer dans l’instant et pour l’éternité. Car la peinture, qui est la mère de toutes ses histoires, est aussi pour elle la sœur aînée du rêve. Infante à la rose, traversée du Styx : des histoires familières qu’elle vient écouter en peinture. Cheville de la sainte, le vieillard qui attend, un oiseau qui se consume : des images qui reviennent ou plutôt renaissent, toujours semblables et à chaque fois différentes, comme les images de ces rêves que l’on fait souvent. Car enfin, Aurélia Frey rêve beaucoup : elle vit, elle aime et elle pleure dans son sommeil. Elle rêve aussi les yeux ouverts, elle rêve en photographie comme elle rêve dans la chambre des peintures.
Il reste qu’Aurélia Frey a une manière bien étrange de photographier la peinture. Sans flash ni éclairage, sans cadrage convenu, elle provoque le hasard et fait entrer la lumière dans la peinture, révélant ainsi des images qui nous sont inconnues. Sous le regard du photographe, le tableau en effet vacille, l’image se fragmente, l’illusion picturale un instant est rompue. Quelque chose de nouveau apparaît, qui est une lumière : un reflet naturel qui n’appartient qu’au tableau et à celui ou celle qui le contemple ; un voile lumineux qui rend visible en même temps qu’il dissimule et qui est le début d’une apparition. Dans ce reflet d’argent affleurent tout à la fois les aspérités du tableau, le travail du peintre, les marques et les blessures du temps. Et puis des images nouvelles, insoupçonnées, évanescentes, qui semblent tantôt réfléchies par la toile, tantôt projetées au plus profond de la peinture. Le tableau ainsi transfiguré n’est plus seulement une image : c’est une peau vieillie, chargée de signes, qui porte en elle le « négatif » de la peinture. C’est aussi un seuil, un miroir et une ouverture : un lieu de contact et de passage vers un « au-delà » de la peinture qui est le vaste monde de la mémoire et de l’imagination. Entre joies et peines, les visions intérieures d’Aurélia Frey nous parlent de la solitude et de l’absence, d’un abîme où la lumière combat sans fin les ténèbres, d’un œil qui attire, d’un appel qu’on attend. Ses photographies nous montrent également des visages de disparus, surpris au sténopé : ceux qu’on regrette et qu’on ne reverra jamais, ceux qu’on n’a jamais connus et qui pourtant marchent dans nos rêves. Visions uniques, images aléatoires du sténopé où la lumière transpose directement sur le papier ce que nul ne peut vraiment prévoir. Vrais fantômes, images pures, lorsque la lumière est son propre photographe, que l’art et le monde sont enfin confondus.

La chambre des peintures

Catalogue Aurélia Frey

 

Le Sortilège des Marins par Vincent Bengold

REGARD DE VINCENT BENGOLD Directeur artistique du Festival Itinéraires des Photographes voyageurs

9livesmagazine

Véritable coup de cœur du festival puisque c’est la 3e fois (c’est rarissime) que nous la présentons en 10 ans. J’ai rencontré Aurélia lors d’une exposition commune organisée par Gaëlle Abravanel à Paris en novembre 2013. Gaëlle et son équipe organisait dans un tout petit lieu Place de Clichy des expositions collectives autour d’un thème très large. En voyant le travail d’Aurélia ce fut un choc. Tout ce qui m’émeut était rassemblé dans ce premier travail, dans de petites caisses américaines. Notre programmation était bouclée. Exception à la règle j’ai supplié Aurélia de rejoindre le festival. Depuis son travail s’est densifié, toujours en rapport avec la littérature et cette année accompagné d’un p@ysage sonore d’Emmanuel Faivre.